jeudi 1 mars 2018

Le retour des M and P's



Depuis le 01er novembre 2017, date à laquelle la dernière aventure de Martinou et sa bande est sortie, je me posais beaucoup de question sur mon avenir d'écrivain auto-publié. Ne fallait-il pas écrire un roman davantage tout public, un de ces romans torturés où les personnages se débattent avec la vie, hésitant entre drame et comédie ? Fallait-il essayer d'écrire un autre genre ? Allais-je trouver l'idée d'une nouvelle histoire ?
En fait les idées n'ont pas manqué ! Les sujets ont jailli. Les titres aussi. Mais l'envie, la motivation n'étaient pas au rendez-vous.
Or, pour écrire, il vaut mieux être inspiré par son sujet...
Et puis un sujet s'est imposé à moi : y-a-t-il une vie extra-terrestre ?


Sujet large et maintes fois exploré, mais qui m'intéresse car j'ai grandi dans une période où les phénomènes d'apparitions d'Objets Volants Non Identifiés et les enlèvement de terriens faisaient régulièrement la une des journaux. Mais surtout, surtout... parce que ma famille et moi-même, nous avons été témoins de phénomènes lumineux inexpliqués au début des années 80. Boules lumineuses, radio qui crépite et bruits stridents, on connaît, on a vécu ça... sans jamais en parler trop autour de nous, comme beaucoup, de peur du ridicule.
Le sujet m'a donc ramené naturellement vers les M and P's. Qui mieux qu'eux pouvaient se débrouiller d'un mystère supplémentaire ?


Depuis que je me documente sur le sujet (livres, émissions télé, internet...), l'enthousiasme vient grandissant ainsi que l'inspiration. Le scénario se met en place, les nouveaux personnages émergent. Mon bloc notes se noircit d'idées, de notes sur l'astronomie, sur les Ufonautes (habitants des soucoupes), le décor se dresse.
Je tiens le titre : "La nuit de la Naine Blanche".
Bref, vous aurez deviné que les M and P's seront  de retour très prochainement pour une aventure que j'espère des plus palpitantes.
En attendant l'aboutissement de ce long travail qu'est la rédaction d'une nouvelle histoire de 400 pages, les trois premières aventures des M and P's vous attendent toujours sur
TheBookEdition.com
en version papier ou en version ebook, pour lire, pour offrir.... ou pour encourager l'auteur ;-)



























Daphnée du Maurier, l'autre anglaise


De toutes les auteures anglaises que j'ai lues, il en est une que j'affectionne tout particulièrement, c'est Daphné du Maurier. Cette digne héritière des sœurs Brontë a renouvelé avec talent le style thriller romantico-psychologique que celles-ci avaient créé cinquante ans plus tôt. Style qu'elle rend à nouveau à la mode portée par un mouvement féministe trop heureux de voir des personnages féminins mis en avant et faire face à l'adversité dans un objectif de plus grande indépendance.
Paradoxalement, je l'ai découverte à travers une mini-série diffusée à la télé au début des années 80, adaptée d'un de ses romans : Rebecca. Cette version anglaise était très bien faite et plutôt fidèle au roman, et surtout servie par un casting soigné (mention spéciale à la comédienne Anna Massey qui incarne l'inquiétante gouvernante de Manderley). Le montage, les décors et le jeu nuancé des comédiens ont fortement contribué au succès de cette version et ont admirablement servi à la transcription filmique de l'atmosphère du roman.
Depuis, j'ai vu la version d'Hitchcock, grand admirateur de Du Maurier, et elle m'a semblé un peu fade. C'est sûrement dû au noir et blanc et à la théâtralité des acteurs Lawrence Olivier et Joan Fontaine...
Et enfin, j'ai découvert le roman.


Voici l'accroche :
Une jeune femme anglaise, dame de compagnie d'une vieille mondaine, l'accompagne lors d'un séjour à Monté Carlo. Elle fait alors la connaissance de Maxime De Winter, un homme d'une quarantaine d'années, élégant, jovial, dynamique et séducteur, qui mène grand train et fait preuve de beaucoup d'attention envers elle. Elle tombe bien sûr amoureuse de lui et le galant homme va très vite l'épouser et la ramener dans les brumes de sa Cornouaille.
Après une lune de miel en Europe, ils reviennent donc s'installer à Manderley, manoir familial des De Winter depuis des siècles, un château de style Tudor élégant mais sombre. La jeune épousée ne tarde pas à subir la lourde atmosphère qui règne entre ses pierres et à être intimidée par les graves portraits des ancêtres de Maxime qui la lorgnent de façon inquiétante lorsqu'elle remonte les couloirs interminables du manoir. La gouvernante, Mme Danvers, femme dure qui lui manifeste une froide hostilité sous un extérieur faussement respectueux, ne va pas lui faciliter son intégration. Elle découvre aussi qu'il y a eu une précédente Mme De Winter et que Maxime est en réalité veuf. À partir de cet instant, la défunte épouse devient le personnage principal de cette histoire. Sa personnalité charismatique, fait que tout le manoir est encore empreint de son aura, et sa présence est encore palpable. 
Tout cela ne tarde pas à peser lourdement sur les épaules des nouveaux mariés. 
Maxime devient étrangement taciturne, nerveux et colérique. 
Les nerfs de la jeune femme, qui n'arrive pas à s'imposer comme nouvelle épouse et nouvelle maîtresse du lieu, deviennent fragiles.
Il me reste en tête trois scènes remarquables, d'une tension terrible :
Quand la nouvelle Mme De Winter s'aventure dans l'aile condamnée du château, accès que lui a formellement interdit son époux car s'y trouvent les appartements de l'épouse disparue. 


Ou bien lors de la scène du bal costumé quand l'écervelée tombe dans le piège tendu par la malveillante Mme Danvers, adoratrice de la précédente maîtresse de maison.
Et enfin lorsque Mme Danvers (toujours elle) profite d'une crise de nerfs de sa nouvelle maîtresse pour lui suggérer de se défenestrer...
Malgré tout cela, la jeune femme timide et effrayée va lutter contre l'esprit si envahissant de l'ex Mme De Winter et va ainsi extirper le terrible secret de ces épaisses murailles.
Son mariage en sortira-t-il indemne ?
Après ce roman si prenant, j'ai tenu à lire les autres romans de Daphné Du Maurier. 
"L'auberge de la Jamaïque", "Ma cousine Rachel" (romans plusieurs fois adaptés au cinéma ou à la télé), et les moins connus , "Mary Ann", "Le bouc émissaire" et "la crique du francais". 
Je n'ai jamais été déçu. 
Du Maurier fait partie de ces auteurs qui ont le sens de l'intrigue. Quand on a lu les premières pages, on ne peut s'empêcher de lire les suivantes. Le style est fluide, la psychologie des personnages bien soignée avec cette délicatesse et cette finesse qu'ont spécifiquement les anglais pour exprimer un ressenti qu'ils ne maîtrisent pas à l'oral (ou du moins que leur tempérament et leur éducation ne leur permettent pas d'exprimer à l'oral) et le dénouement toujours étonnant.
Alors si vous avez déjà Emily et Charlotte Brontë, Jane Austen, Dickens et Wilkie Collins dans votre bibliothèque, n'hésitez pas à y ajouter l'indispensable Daphné Du Maurier... 
Plaisir garanti.


Quelles femmes aimez-vous ?

J'ai toujours aimé les femmes... Alors là, j'en vois déjà qui sourient un peu narquois et taquins... Mais oui, j'aime les femmes. Passionnément, tendrement... Pas n'importe quelles femmes !!! Un certain type de femmes.
Et en me penchant sur ce vilain penchant, je me demande soudain quel est le point commun entre elles. Pour ça je me dois de vous en présenter quelques-unes à travers un domaine, une discipline, une période. Et voyons pourquoi j'admire particulièrement ces femmes là...


Dans la littérature ce serait Angélique Marquise des Anges et, à travers elle, son auteure Anne Golon. 
Saviez-vous qu'Anne Golon a dû accepter de son éditeur que le nom de son mari soit accolé au sien (même si son époux n'avait participé qu'aux recherches documentaires) pour la sortie du premier "Angélique", sous prétexte qu'une femme signant seule un roman historique n'était pas crédible ? Première humiliation.
Saviez-vous que les éditions Hachette avaient modifié, tronqué, dénaturé les rééditions de la série "Angélique" sans jamais avoir obtenu l'autorisation de l'auteure, ni même lui avoir versée ses droits d'auteure ? Irrespect total. L'injustice sera laborieusement réparée à l'issue d'un long et retentissant procès au milieu des années 2000.
Saviez-vous qu'en terme de représailles, ses romans avaient été relégués au rayon Arlequin, romans à l'eau de rose, puis retirés des rayons des librairies françaises alors même que la rigueur historique et la qualité littéraire de Mme Golon auraient dû la placer au même rang que Maurice Druon (les Rois Maudits) ou Robert Merle (Fortune de France) ?
Certes, l'adaptation cinématographique aux élans sirupeux et mélodramatiques a autant participé au bonheur de l'œuvre qu'à son malheur...
Et pourtant, les treize tomes des "Angélique", comme son auteure, n'ont rien à voir avec cette adaptation et méritent un peu plus de respect. Anne Golon est l'auteure française la plus lue (130 millions d'exemplaire entre 1956 et 2005) et la plus traduite dans le monde après Dumas (traduite dans plus de trente langues), et la plus piratée aussi. Même des séries à succès comme "Outlander" s'en inspirent effrontément encore aujourd'hui, sans jamais l'assumer parce que la marque "Angélique" souffre d'une étiquette kitch. 


Pour ceux qui ont lu les treize tomes, l'incompréhension est totale tellement cette héroïne est attachante et moderne. D'une écriture intelligente et cultivée (Anne Golon est considérée comme l'une des rares spécialistes du siècle de Louis XIV), jamais répétitive, elle nous entraîne à suivre son personnage de son Poitou natal jusqu'au Languedoc en passant par le Pays Basque, avant de revenir à Paris puis à Versailles, pour mieux nous éloigner encore à travers la mer Méditerranée et la côte nord africaine, jusqu'à manger les grains de sable du désert du Maroc et goûter les embruns de l'île de Malte et ensuite nous faire dériver vers le Nouveau Monde. On y croise plein de personnages historiques : Louis XIV, la Marquise de Montespan, la veuve Scaron (future Mme de Maintenon), La Fontaine, le Sultan Moulay Ismaël, le Duc de Vivonne et le gouverneur Frontenac, entre autres...
Le contexte historique va de la Fronde à l'affaire des poisons en passant par les guerres de religion et l'esclavagisme des chrétiens ou encore l'extermination des tribus indiennes nord américaines. Une œuvre très riche et populaire. Angélique est une femme forte et courageuse qu'on aime voir tomber pour mieux la voir se relever et prendre sa revanche contre vents et marées, contre le pouvoir et l'ordre établi, contre les instances religieuses, contre la sauvagerie humaine, contre l'injustice...
Quand Anne Golon est enfin invitée à Apostrophe par Bernard Pivot, elle a droit à un accueil condescendant et méprisant sans considération de son talent d'historienne et d'écrivaine...
Malgré tout ça, Anne Golon a continué à écrire et à défendre son travail jusqu'à sa mort cette année à 95 ans. Et elle a bien fait car son œuvre revient peu à peu au rayon "romans historiques" et est peu à peu réhabilitée auprès des jeunes générations.


Dans la chanson, ce serait Sheila, qui retiendrait mon attention. Sheila, le petit phoque de la variété française pour moi, davantage qu'une petite fille de français moyen. Sheila dont on a moqué les couettes et les refrains naïfs comme s'il fallait tuer l'insouciance et massacrer l'innocence. Sheila dont une certaine France conservatrice, (la même France conservatrice qui l'avait portée aux nues) s'est soudain détournée d'elle parce qu'elle faisait preuve d'une certaine liberté et d'une certaine ouverture d'esprit en se trémoussant à moitié nue avec trois danseurs noirs (voire se frottait effrontément à eux... My God !!!) à la fin des années 70, début des années 80. 
Est-ce qu'on a reproché à Johnny ses déhanchés maladroits d'ersatz d'Elvis ou à Françoise Hardy son côté godiche ? Non.
Sheila, c'est la victime toute trouvée, le bouc émissaire de service, le défouloir sur qui tout le monde tombe d'accord. Une certaine facilité... Il est toujours de bon ton de railler et de mépriser cette pôvre Sheila comme on raille et on méprise le simplet du village.
Et pourtant, 55 ans de carrière, des dizaines de tubes, 85 millions de disques vendus, un classement dans les charts américains pour Spacer en 1979 (seule chanteuse après Piaf à avoir réussi cet exploit) et des bâtons dans les roues en veux-tu en voilà, ça devrait forcer le respect à défaut d'admiration... Sans compter que des artistes qui chantent, dansent, jouent la comédie, présentent, écrivent, sculptent, ne sont pas pléthore en France.
Eh bien non, on continue à l'assommer avec ses couettes et à la saouler avec ses tenues à paillette en ignorant ce qu'elle a fait depuis. On trouve le moyen de lui reprocher jusqu'à ses liftings ou sa voix, elle qui ne demande qu'à faire son métier et remplir sa mission de divertissement jusqu'au bout, faire plaisir à son public qui la suit depuis toujours.
Serait-ce mal de vouloir continuer à s'amuser et à donner du plaisir aux autres ? Pourquoi voudrions-nous qu'à 72 ans tout soit dit et qu'on abandonne ses rêves en les sacrifiant au principe qu'à cet âge ce n'est pas raisonnable ?
A la télévision, j'ai toujours été admiratif de Danièle Gilbert. J'ai une tendresse particulière pour cette dame. Pas seulement pour son émission Midi Première pour laquelle ma mère et moi on bravait l'interdit paternel de regarder la télévision en mangeant, profitant qu'il était de gamelle sur un chantier éloigné, délicieux secret entre elle et moi. Non. 


J'aime le tempérament de la dame. Son tempérament de petite souris qui s'est taillé la part du lion dans l'imagerie des débuts de la télévision. A la fois timide et hardie, douce et ferme, bavarde mais attentive aux réponses des autres, fragile et inébranlable dans l'imprévu. Une femme qui aime les gens et qui tape la discute aussi naturellement avec un homme politique en vue qu'avec un boucher charcutier du Cantal.
Là aussi, ce qui m'énerve c'est ce petit sourire goguenard qui vient naturellement aux gens quand on prononce son nom, rien qu'en considérant l'image péjorative. Ce machisme de l'époque qui cherchait sans cesse à la rabaisser au rang de grande Duduche aurait-il eu raison d'elle ? La grande Duduche est une femme intelligente qui a quand même décroché une licence d'allemand et a sa carte de journaliste. Et elle est encore dans le coeur des gens et suscite l'émotion populaire là où celui qui la surnommait ainsi (Jacques Martin ) a pratiquement disparu des mémoires et suscite peu d'affection.
Car elle en a pris des coups la gracile blondinette ! Virée de la télé pour avoir écouté un peu trop Giscard et son accordéon ! On n'aime pas les gens libres non plus à gauche ! Et sa liberté, elle la brandira en jetant sa petite culotte pour le magazine "Playboy". Elle a des couilles la grande Duduche et elle le montre.
Mais les gens qui relèvent un peu trop le nez on les fait taire. L'affaire de la bague miracle l'envoie en prison et lui ferme à nouveau le caquet. Elle renaît de ses cendres une nouvelle fois en tenant l'affiche de "La Ferme Célébrité" où elle tient tête aux jeunes starlettes et fait preuve d'une plus jolie mentalité que ces jeunes oiselles, ce qui lui vaut d'être parmi les derniers à être exclus de cette émission de télé réalité grâce au vote populaire.
Pour l'avoir croisée, Danièle est une vraie gentille, droite dans ses bottes, qui ne méritait pas tous ces coups bas et mérite une constante réhabilitation.


L'histoire de France nous offre la petite cousine de Danièle Gilbert : Jeanne d'arc (pour la coiffure). 
Même si la persécution revêtait une autre importance et une autre gravité à cette époque, elle reposait déjà entre les mains d'hommes et était souvent provoquée par la rumeur populaire. Là, ce n'était pas le pilori médiatique mais le bûcher, plus radicalement. La petite bergère de Domrémy était devenue dangereuse et risquait de faire devenir le monde meilleur. Où va le monde si on laisse des bergères influencer le destin des rois et mener des hommes au combat, le cœur vaillant ?
Dans le monde du cinéma, Bette Davis force également le respect. Cette femme, immense actrice talentueuse, a aussi, on le sait peu, contribué à faire valoir le droit des femmes à une équité de traitement dans les contrats signés avec les grandes firmes cinématographiques américaines. Elle fut la première à braver son producteur Jack Warner car il refusait de lui confier de meilleurs rôles. Elle n'hésita pas à lui claquer la porte au nez pour partir chez le concurrent. Elle fonde même sa propre maison de production et fait de l'égalité des salaires hommes/femmes son cheval de bataille. Là où on dit d'un homme qu'il est professionnel et exigent on dit d'elle que c'est une chieuse et une diva. Nul doute que la suite de sa carrière s'en ressentit, les grands pontes d'Hollywood ne lui pardonnant pas sa fronde.


Et enfin dans la sculpture : Camille Claudel a sa place dans mon panthéon féminin. L'histoire de cette élève qui atteint le niveau du maître Rodin puis s'en affranchit et le dépasse, selon certains, jusqu'à lui faire de l'ombre, est fascinante. Elle bouscule elle aussi les bien-pensants en travaillant sur le nu. Cette femme exacerbera son art jusqu'à la folie et finira incomprise, jalousée, rejetée. Même si sa fièvre artistique et sa rupture amoureuse avec Rodin la conduiront derrière les portes d'un asile pour les trente dernières années de sa vie, les correspondances qu'elle continuera d'adresser à sa famille, ses amis et ses relations professionnelles, prouvent qu'elle s'était bien ressaisie et avait récupéré toutes ses facultés. Malgré cela, personne ne bougera le petit doigt pour l'extraire de là et préférera ignorer ses appels à l'aide, cruauté préférable à l'opprobre public et aux scandales perpétuels qu'un tel retour n'aurait pas manqué de ramener sur son entourage.


Alors là je vous vois venir à la fin de cette démonstration : 
"Ouah ! bah dis donc, c'est osé ! Mettre au même rang Sheila, Bette Davis et Jeanne d'Arc ! Il est culotté !"
ou bien encore :
"Il est courageux d'assumer ses goûts désuets et un rien tartes !!" ou alors :
"Il est marrant lui, on a le droit de ne pas aimer !".
Et moi je réponds que ce n'est pas une question d'aimer ou de ne pas aimer c'est une question de le faire sans à priori. Combien ai-je entendu critiquer ou ai-je surpris à lever les yeux au ciel sans même connaître la personne ou son travail ? Pourquoi ne pas prendre le temps de découvrir, de quitter sa zone de confort pour savoir de quoi on parle exactement ? Alors oui, on peut ne pas aimer mais on peut essayer d'être objectif et de rendre à César ce qui lui appartient, respecter le travail de chacun.
Leur point commun à toutes ces femmes est, vous l'aurez deviné, leur extrême popularité mais aussi le mépris injuste et injustifié dont elles ont souffert.
L'injustice tient principalement à ce que ce mépris soit issu bien souvent d'un réflexe de bon ton, ce réflexe qui pousse les loups à hurler avec les loups et à se mettre à déchiqueter une victime sans bien comprendre de quoi elle était accusée, ni encore moins de s'assurer qu'elle était coupable. Une certaine paresse intellectuelle en quelque sorte !
Elles ont toutes été vilipendées par une certaine intelligentsia (souvent parisienne ou de droit divin) qui impose sa dictature intellectuelle en décidant de ce qui est noble et de ce qui ne l'est pas, de ce qui mérite le respect et de ce qui doit être conspué.
Toutes ont dû aussi se battre contre un système machiste exclusivement régi par des hommes et ont fait avancer chacune à leur manière la cause des femmes en faisant leur place dans un monde où tout n'était pas gagné pour elles.
Elles ont toutes été victimes de rumeurs : Sheila est un homme, Jeanne d'Arc est une sorcière, Danièle Gilbert est giscardienne, Camille Claudel est folle...
C'est pour ça que je les aime toutes ces femmes, parce qu'elles bousculent l'ordre établi, refusent les étiquettes, restent toujours sincères dans leurs démarches et font priorité à l'envie et au plaisir, tournent le dos aux esprits chagrins, combatives, rebelles, admirables... Ce sont aussi des amoureuses au sens large : amoureuse du public, du peuple, d'un homme, d'un métier, d'un art. Leur passion est chevillée à leur corps. Personnages denses, intenses, incandescentes... J'aime ces femmes pour leur optimisme : tant qu'il y a de la vie, y'a de la force, et tant qu'il y a de la force, y a de l'espoir pour continuer à avancer sans se soucier du regard des autres, l'essentiel étant de donner, de recevoir, de partager, d'échanger, d'aimer... Quitte à tout sacrifier.
Spécialistes du contournement et du retournement de situation, elles m'ont appris à faire ce qui me plait sans me préoccuper du reste.
Quand je vois un obstacle, Anne, Angélique, Sheila, Danièle, Jeanne, Bette et Camille l'enjambent désormais avec moi.

Fred Vargas ou une certaine idée du polar littéraire


Je n'aime pas trop les polars. Trop sombres, trop glauques, sans surprise, souvent mal écrits. Sûrement ma première fois avec "le Dahlia noir" m'avait-elle un peu refroidi. Il paraît que les premières fois sont toujours un peu ratées...
Et puis Enzo Kasmi, adepte et spécialiste du genre avec qui je parle littérature régulièrement lors de nos pauses déjeuner épicuriennes, a su me parler de certains romans avec son emphase et avec sa finesse habituelles, et a fini par attiser ma curiosité (et la bouteille de Pouilly Fuissé n'y est pour rien). 
Dans la myriade de polars dont il m'a fait l'apologie, il fallait toutefois que je fasse un choix.
Mon choix est tombé sur Fred Vargas et son commissaire Adamsberg. 
Mr Enzo m'en avait parlé avec enthousiasme, mais l'interview de Fred Vargas par Laure Adler dans l'émission "L'Heure Bleue", sur France Inter, a fini de me décider. 
Stupeur : Fred Vargas est une femme à la voix rauque et à l'accent parisien qui dit des choses atypiques, profondes et intelligentes d'un ton désinvolte. Elle expliqua lors de cette émission comment elle et sa sœur jumelle se sont retrouvées à enquêter sur la vraie histoire de Cesare Battisti, ancien terroriste italien devenu écrivain, et ont tenté de prouver, par cette enquête, son innocence dans les meurtres pour lesquels la justice italienne le poursuivait. Courageuse et folle entreprise ! Sœurs fantasques et inconséquentes ? Ou idéalistes convaincues éprises de justice et combattantes des pouvoirs totalitaires ? 
La voix radiophonique de cette fumeuse patentée, défenderesse du calomnié repenti, et dénonciatrice d'un état qui n'assume pas son passé, me captiva, m'emporta, m'intrigua. Une telle femme ne pouvait écrire que magistralement !
Et puis, j'avais en tête que mon acteur préféré, Jean-Hugues Anglade, avait incarné Adamsberg dans la version télévisée réalisée par Josée Dayan.
Je me retrouvai donc à lire "l'homme aux cercles bleus" avec cette appréhension de la seconde fois, cette excitation nerveuse qui hésite entre l'envie d'en découdre et la terreur du fiasco, la peur de ne pas arriver au plaisir et de devoir battre en retraite en plein milieu du désir... S'y mêla aussi ce besoin viscéral d'étendre mon territoire en sachant que toute porte ouverte sur l'univers d'un autre (Enzo et Fred Vargas) est un agrandissement de mon propre espace vital, une extension de ma construction mentale, un développement de ma capacité pulmonaire, bref un épanouissement supplémentaire. S'y ajoutèrent cette curiosité anthropologique, cette soif de découvrir un peu du mystère séculaire de l'autre, cet autre qui nous entoure, qui nous suit, qui nous devance, qui nous empêche, qui nous aide, qui nous comprend (rarement), qui nous ignore (souvent) et nous détruit (toujours)... J'eus l'impression d'être un vampire faisant tranquillement le tour d'un appartement pour mieux connaître sa future victime avant de fondre sur elle alors qu'elle dort tranquillement entre des draps immaculés, et de se repaître voluptueusement de sa vitalité pour prolonger un peu la sienne...
J'ai dévoré Fred Vargas en quatre séances de lecture. J'ai adoré son style, ses personnages, l'intrigue, l'ambiance. Les dialogues sont savoureux. Se cachent dans la légèreté des propos une profondeur certaine emprunte d'humour et de cynisme, et teintée d'absurde à la Ionesco (mais juste ce qu'il faut pour ne pas se désintéresser de l'histoire et des personnages). Les échanges entre personnages claquent comme du Audiard. Les personnages (Adamsberg et Mathilde en tête) ont tous quelque chose d'attachant, toujours sur le fil, hésitant entre le côté clair et le côté obscur de la vie, entre désabus et amour de l'existence, ce qui se retrouve aussi dans l'attrait qu'ils ont envers les autres et la méfiance qu'ils ressentent envers eux... 
J'ai lu chaque page avec délectation, tellement les mots sont savoureux. Toujours cet équilibre entre érudition et bon sens commun et cette observation juste de la nature humaine dans toute sa variété.
Me voilà repu d'une seconde fois concluante, le livre défloré gisant à côté de moi au milieu de mes draps froissés avec cette envie furieuse de déjà recommencer. Heureusement, huit autres enquêtes du commissaire Adamsberg m'attendent sur ma table de nuit et tentent déjà de raviver mes ardeurs de leur tranche aguichante. Encore de bons moments en perspective...

mercredi 1 novembre 2017

Sortie d'une nouvelle aventure des M and P's ce jour - Le Nombril de Ganesh

Après plus de deux ans de travail acharné, voici enfin la troisième aventure des M and P's disponible sur www.TheBookEdition.com.



vendredi 30 juin 2017

Le Nombril de Ganesh par Thierry RAINOT - Chapitre 9 (dernière partie)


Telle une armée de nains industrieux, les quatre femmes et les cinq adolescents traversèrent la route pour gagner le cimetière.
Mme Roulier, s'apercevant que les M and P's commençaient à s'égailler, intercepta son fils en le tirant par le bras.
- Tu restes avec nous chéri. On n'a pas fini. Tu te souviens de ce que je t'ai dit ?...
Pirouly se renfrogna.
- Oui, maman. Je reste. Les filles et Ronflette aussi je crois... Tu n'y vois pas d'inconvénients j'espère ? lui répondit-il avec une certaine acrimonie.
D'ailleurs son affirmation devint aussitôt une interrogation en son for intérieur, car il aperçut Ronflette et Mirliton en train de s'éloigner sur la route qui montait vers le centre du village.
Inquiet, il se tourna vers Martinou et Poucy. Elles aussi semblaient prendre un autre chemin que celui du cimetière.
- Tu veux pas venir te détendre un peu avec nous ? On a déjà bien bossé, non ? proposa Martinou.
Ce fut Mme Roulier qui répondit pour le jeune garçon :
- Pierre n'est pas encore très en forme les filles. Je préfère qu'il reste pas trop loin de moi pour le moment.
- Bah, moi je trouve qu'il est plutôt en forme. Il a d'ailleurs bien trimé dans l'église avec tous ces seaux qu'il a charriés pour vous, rétorqua Martinou un peu piquante.
Mme Roulier préféra ne pas répliquer et monta les quelques marches qui menaient au cimetière un peu en surplomb.
Elle se retourna une nouvelle fois vers son fils en disant plus fermement :
- Ne tarde pas chéri. On t'attend.
- Ta mère nous tient responsables de ton malaise ou quoi ? s'insurgea discrètement Martinou en se rapprochant de son ami alors que sa mère disparaissait de sa vue.
- C'est vrai qu'elle nous regarde bizarrement depuis dimanche soir. On dirait qu'elle se méfie de nous, trouva aussi Poucy.
Le jeune garçon répondit distraitement en lorgnant par dessus leurs épaules Ronflette et Mirliton qui continuaient de deviser un peu plus loin. La conversation semblait plutôt privée.
Cela n'échappa pas à Martinou et Poucy. Elles se retournèrent toutes deux.
- Qu'est-ce qu'il y a ? questionna Poucy voyant le visage contrarié de Pirouly.
- Non rien... Juste, ils vont où ? Ils restent pas non plus ?
- Pirou, si tu veux qu'on reste, dis le franchement plutôt que de faire ta mine de chien battu, s'agaça Martinou.
Il reporta alors son attention sur elle. Un éclair métallique brilla au fond de sa pupille.
- Pourquoi il faudrait toujours te supplier ? Si tu veux tu restes, sinon t'es libre de t'en aller, répondit-il sèchement.
Il tourna le dos à ses deux amies, poussa rageusement la grille mal huilée du cimetière, et s'enfuit en courant dans le dédale des tombes.
- Il est vraiment à fleur de peau en ce moment, commenta Poucy devant la mine déconfite de Martinou.
- Bon, on va rester, sinon il va nous faire un caca nerveux. Et puis je voudrais lui parler de sa future consultation chez Paulette. On ira au marché demain matin pour acheter le coq.
- Tu crois que c'est le moment pour lui parler de ça ? Il m'a pas l'air dans de très bonnes dispositions, fit remarquer Poucy, sagement. Et puis sa mère va pas le lâcher comme ça...
Ce qui fit soupirer Martinou.
- On verra ça, répondit-elle revancharde.
Et elle entra à son tour d'un pas résolu dans le cimetière.
Poucy secoua la tête et lui emboîta le pas.
Un petit camion blanc venait d'arriver et de se garer le long du mur du cimetière.
Sa conductrice interpela Poucy qui dut revenir sur ses pas.
C'était Mme Falouja, sa mère.
- Tu peux nous donner un coup de main s'il te plaît ? Avec Sajka on amène des fleurs pour garnir les tombes. Monique et les autres ont terminé ?
Poucy salua Sajka d'un léger signe de tête tandis que sa mère faisait le tour de la fourgonnette pour aller ouvrir les deux portes à l'arrière.
- On vient juste de terminer l'église. Elles commencent seulement le nettoyage des tombes, la renseigna-t-elle.
- C'est pas grave, on va toujours décharger les chrysanthèmes et les pensées, décida sa mère en montrant le stock de fleurs qu'elles venaient d'acheter à la jardinerie de Chambard.
Poucy ignora les pots que lui tendait Sajka, fondatrice des Care-pets, Association en faveur de la protection animale, mouvement que Mme Falouja avait intégré quelques années auparavant. Elle préféra se saisir elle-même d'une jardinière de pensées.
Sa mère haussa les épaules en regardant d'un air désolé Sajka qui paraissait contrariée que la jeune fille ne l'ait pas débarrassée des pots qu'elle lui tendait.
Poucy ouvrit le chemin. Les deux femmes la suivirent entre les tombes.
- Tu vas déposer ça où ? s'inquiéta Sajka qui pensait avoir juste à déposer son chargement à l'entrée du lieu.
- T'as qu'à me suivre et tu sauras, répondit sèchement Poucy.
Sajka jeta encore un œil entendu à Mme Falouja.
Celle-ci justifia :
- Les tombes dont on s'occupe sont plus situées au fond du cimetière, de l'autre côté du monument dédié aux morts de 14-18. On a qu'à déposer les pots autour de la stèle pour l'instant.
Après quelques allers retours entre le monument aux morts et le véhicule utilitaire, elles allèrent enfin saluer les femmes déjà à l'ouvrage.
 
Quelques pierres tombales rutilaient déjà, encore fumantes des vapeurs d'eau chaude qu'elles venaient de recevoir.
Léontine et Ginette brossaient énergiquement d'autres marbres d'un geste expérimenté en ramenant le balai-brosse dans un seau pour le rincer.
A cette étape, les tombes ressemblaient à des baignoires débordantes de mousse, les deux femmes n'ayant pas lésiné sur le produit nettoyant.
Thérèse Roulier et Monique s'occupaient de toutes les plaques funéraires à la mémoire des chers disparus et veillaient surtout à réattribuer au bon propriétaire chacune d'entre elles, quand la tombe était prête.
Chantal, elle, donnait le dernier coup de lustre avec un chiffon imbibé d'un produit redonnant son brillant au marbre le plus terni. Elle pestait dès que le doux vent qui balayait les allées ramenait soudain des feuilles mortes pour salir son œuvre.
Les M and P's furent préposés à la décoration. Ce n'était pas bien compliqué. La Léontine leur avait montrés la disposition type : une jardinière au pied de la pierre tombale et un pot de chrysanthèmes à disposer de chaque côté de la tête.
Pirouly était occupé à caler un de ces pots quand Ronflette et Mirliton vinrent enfin les rejoindre. Il en fut distrait et, du coup, renversa le terreau noirâtre sur la pierre propre qui, comble de malheur, était d'un blanc immaculé.
Martinou le brocarda gentiment.
Plutôt que de réparer sa maladresse, il bougonna méchamment et s'enfuit en direction du quartier le plus ancien du cimetière.
Ronflette et Mirliton s'approchèrent en plaisantant entre eux, puis voyant le pot renversé, s'avisèrent seulement de la disparition de Pirouly.
- Joli travail, ironisa le jeune Bartichaut.
- C'est pas mon œuvre, se défendit Martinou. C'est celle de Mr Pirouly qui a encore ses nerfs.
Et elle désigna la zone du cimetière où se dressaient les anciens mausolées à la mode funéraire de la fin du dix neuvième siècle, réservés aux riches familles. Ronflette scruta les pignons ouvragés qui se dressaient par là comme ceux d'un lotissement américain trop bien ordonnancé, à la différence près que ceux-ci avaient noirci au fil du temps par la pollution et le lichen.
Il tendit encore le regard vers le tombeau des Le Héron qu'ils avaient eu l'occasion de visiter lors d'une précédente aventure. Il était certain que son ami s'y était réfugié.
Son sourire s'effaça un peu.
- Je vais aller le voir...
- Je serais toi, Ronflette, je resterais tranquille. Laisse-le. Il va se calmer et il va revenir comme si de rien n'était. Laisse-le faire, tu verras...
Mirliton le prit par la main et l'entraîna à l'opposé vers le monument aux morts.
- On va plutôt les aider à terminer.
Mme Falouja ramena bientôt deux thermos que les travailleurs accueillirent avec grand plaisir ainsi que les spéculos qui les accompagnaient.
En cette fin d'après-midi d'automne, où le temps ensoleillé avait réchauffé les cœurs et les corps, le déclin du soleil leur sembla une confiscation hâtive et injuste, et le froid mordant qui s'installa fut perçu comme un supplice supplémentaire.
Alors que ses rayons n'atteignaient plus que les toits des maisons, les revêtant d'un ultime voile doré, Mme Roulier et ses amies avalèrent leur gobelet de thé chaud avec une grande satisfaction. Ce leur fut d'un grand réconfort après le dur labeur.

Pirouly revint alors tout contrit et taciturne, ce qui contrasta avec l'ambiance plutôt joyeuse qui régnait autour de cette collation.
Ronflette lui tendit chaleureusement un gobelet chaud.
- Tiens, avale ça, crevette. Ça va te réchauffer.
Il s'empara du gobelet et s'empressa d'y plonger le nez, mais il fut bien obligé de relever la tête à un moment donné, les yeux étrangement brillants. Les filles mirent ça sur le compte du thé trop chaud. Mais au geste amical que Ronflette fit envers son camarade, en posant sa main sur son épaule brièvement, ce dernier comprit qu'il avait perçu son émotivité.
Mirliton se glissa entre les deux pour remonter la fermeture Eclair du gilet de Ronflette.
- Et toi tu vas attraper froid si tu continues à te promener comme ça, fit-elle remarquer avec un ton aussi inhabituel que le regard qu'elle déposa sur le beau jeune homme.
Cette minauderie et cette intonation langoureuse dans laquelle perçaient plusieurs sous-entendus agacèrent souverainement le jeune Pirouly. Cela ne faisait pas partie de la gamme d'expressions employées habituellement par son amie parisienne. Elle, si originale et imprévisible, lui parut soudain, à travers cette simple phrase, une personne très commune et banale, à la limite de l'écœurant.
Il eut l'impression que, par ce geste anodin, Myriam prenait soudain pleine possession de Ronflette et, par le même coup, semblait s'arroger naturellement le droit de lui dicter son comportement dans une perspective de lui ôter tout esprit d'indépendance.
Qu'avaient-ils pu se dire tout à l'heure qui lui donnait soudain des ailes au point d'oser ce genre de comportement envers le jeune Bartichaut ? La relation entre les deux s'était comme détendue.
En lui-même, Pirouly se dit, qu'après tout, c'était sur son conseil que Ronflette avait enfin parlé à Mirliton. Les choses s'étaient sûrement éclaircies et mises au point et chacun en était sûrement soulagé...
Le fil de leur amitié s'en trouvait  renoué. C'était mieux comme ça pour tout le monde.
Il tenta de voir le bon côté des choses mais, au fond de lui, une part d'inquiétude continuait de subsister. Il n'en finissait plus de plonger le nez dans son gobelet alors qu'il y avait longtemps qu'il en avait bu la dernière goutte. C'était une manière pour lui d'échapper aux regards environnants. Il lui semblait que, sinon, les autres allaient y lire des choses qu'il ne tenait surtout pas à révéler.
Et, en effet, son regard fuyant prenait les allures de celui d'une bête traquée et acculée quand celui de ses amies ou de sa mère tentait de s'ancrer en lui. Celles-ci le remarquèrent bien mais ne surent y donner de signification, si ce n'est son état de fatigue des derniers jours.
Quand la nuit fut complètement tombée, toutes les tombes requérant de l'attention étaient propres et fleuries. La petite troupe de bénévoles quitta les lieux, contente de sa journée et la satisfaction d'une bonne action accomplie au fond des consciences.
Mme Falouja proposa à chacun de monter dans la fourgonnette , mais tout le monde déclina l'invitation, même sa fille.
- Ça n'a pas l'air d'être la grande entente avec Sajka, observa Martinou en se penchant à l'oreille de Poucy qu'elle avait vu grimacer à la proposition de la présidente des Care-Pets de monter en voiture.
Celle-ci chercha à minimiser :
- Oh... On a juste pas grand chose à se dire, c'est tout...
Le durcissement de la mâchoire de Poucy fit comprendre à son amie qu'elle n'en saurait pas plus.
Elle était la plus secrète et la plus introvertie d'entre tous. Martinou savait qu'il était inutile avec elle de forcer la confidence. Elle parlerait quand elle en ressentirait vraiment le besoin... Si elle en ressentait jamais le besoin !
Le groupe commença à monter la rue de l'église en direction du centre du village où chacun emprunterait un chemin différent aux carrefours successifs de Barroy.
Ronflette et Mirliton traînaient encore en arrière continuant leurs apartés.
- Mais qu'est-ce qu'ils peuvent bien mijoter ces deux-là ? s'impatienta Martinou que leur attitude commençait à intriguer.
Elle s'arrêta pour les attendre, imitée par Poucy et Pirouly.
En avant, Mme Roulier, inquiète, se retourna pour dire :
- Pierre, tu suis, hein ? On rentre maintenant. Ton père ne va pas tarder à revenir du travail, il ne faut pas le faire attendre.
Excédé, il préféra ne pas répondre.
- Alors, qu'est-ce que vous fichez tous les deux ? C'est quoi ces messes basses ? les chahuta un peu Poucy.
Les deux accusés se regardèrent.
- Tu le leur dis ? demanda la jeune parisienne d'un air suppliant.
- Non, vas-y, c'est plutôt à toi de le leur dire.
Pirouly rentra la tête dans les épaules. Le froid semblait vouloir entrer par toutes les embouchures de son blouson léger et l'engloutir définitivement.
Poucy le sentit frissonner près d'elle. Il lui sembla même que ses lèvres bougeaient toutes seules, comme une prière muette.
- Bah, allez-y, accouchez ! les pressa Martinou d'un œil ironique montrant qu'elle savait déjà de quoi il retournait.
Mirliton prit alors la main de Ronflette en sautillant sur place de façon imperceptible.
Les yeux de Pirouly se fixèrent sur ces deux mains liées et ne purent s'en détacher. C'était comme si en se joignant elles avaient créé un tourbillon vers lequel il était entraîné malgré lui.

Il n'entendit pas ce qui suivit. À quoi bon ?
Il avait deviné, il avait pressenti, il avait redouté ce moment et il savait déjà chaque mot que son amie parisienne allait prononcer.
Il n'entendit donc pas l'annonce faite de cette manière très exacerbée qu'avaient les adolescents d'annoncer la moindre chose anodine ou exceptionnelle, car cette hiérarchie n'existe que dans l'esprit des adultes et que ce qui compte chez eux est qu'il arrive quelque chose, chose surprenante ou pas.
Il n'entendit pas non plus la réaction non moins disproportionnée de celles qui reçurent la nouvelle comme si le jackpot du loto venait de tomber, se sentant obligées d'être au diapason ou pour se donner l'impression qu'elles étaient ultra concernées, en criant, en sautant, et en congratulant outre mesure.
Il vit juste les trois filles tourbillonner autour de lui puis se jeter dans les bras les unes des autres. Il fut serré tout aussi affectueusement.
Mais, autour de lui, tout était devenu noir. Les trois filles du groupe s'étaient lentement effacées et, là, dans la même immobilité que lui, les membres et le coeur figé, il aperçut Ronflette, les mains dans les poches, les épaules un peu courbées, un demi-sourire gêné sur les lèvres, et une expression dans les yeux qu'il ne lui avait jamais vu. Il semblait lui demander pardon, et ce pardon cachait mille autres choses qui adoucirent un peu sa peine. Des choses qu'il n'y avait pas besoin de formuler pour les comprendre, soudain si proches et si lointains, si complices et si étrangers à eux-mêmes, si muets et si disserts.
Cette ouverture du sourcil en accent circonflexe qui voulait dire :
- Ne m'avais-tu pas demander de lui parler ?
Oui, c'est vrai, c'est ce que Pirouly avait même exigé... Mais avait-il souhaité ce résultat ?
Un scintillement au fond de la pupille de Ronflette le justifia encore :
- C'est mieux comme ça... C'est pour te protéger... Nous protéger...
Ou ce scintillement voulait-il plutôt dire :
- Ne m'en veut pas... J'ai fait ce qu'on attendait de moi...
Bien que non prononcé, ce "on" résonna de manière inquiétante dans la tête de Pirouly. Qui était-il ce "on" ?
Il emporta avec lui ce regard, ses réponses et ces interrogations qui tournoyèrent dans sa tête comme un problème de mathématiques à plusieurs inconnues, un de ces problèmes qui vous fait bouillir le cerveau à le liquéfier.
Il les emporta aussi comme un voleur emporte un butin tant convoité ou comme un porteur du flambeau olympique transporte et protège sa flamme alors qu'une bourrasque menace de l'éteindre.
Il était maintenant dans sa chambre et, pourtant, il y avait toujours cette obscurité, ce froid, ce regard de son ami gravé sur sa rétine, si douloureux, si précieux et qui continuait à lui confier sans un mot tout ce qu'il avait toujours voulu lui confier
 


samedi 24 juin 2017

Le Nombril de Ganesh par Thierry RAINOT - Chapitre 9 (seconde partie)


Mais le lendemain matin, sa mère refusa de le laisser rejoindre les M and P's.
- Il est encore trop tôt mon poussin. Hier encore tu étais hospitalisé. Tu ne vas pas pas déjà aller t'agiter avec tes amies. Tu sais comme Martinou ne reste pas une minute en place... Si j'étais sûre que vous restiez sagement à jouer à des jeux de société... Peut-être ! Mais cela m'étonnerait beaucoup de vous... Surtout que le soleil est de retour et qu'il fait presque un temps de printemps aujourd'hui.
- Justement maman, je vais pas rester enfermé une autre journée. J'ai besoin d'air moi !
- Eh bien, viens avec moi. Je vais nettoyer l'église cet après-midi avec Monique et Chantal... Et peut-être la mère de Martinou, même... Tu pourras t'oxygéner, et moi j'aurai un œil sur toi. T'es encore un peu pâle...
- Nettoyer l'église ?
- Oui, tous les ans, pour la Toussaint et la fête des morts, on nettoie l'église et ensuite on va lessiver quelques tombes dont personne ne s'occupe.
- Super ! Pour m'oxygéner et me remonter le moral, t'as raison, il y a pas mieux !
Mme Roulier passa son index sur la joue de son fils, ce qui le fit ronchonner.
- Tu sais bien ce que je pense de la religion, chéri... Il ne s'agit pas de ça là. Je te parle d'un moment de solidarité et d'amitié. Tu vas voir, on va passer une excellente après-midi avec mes copines.
Et en effet, Pirouly aima l'ambiance. Bien que l'intérieur de l'église fut bien froid, l'atmosphère bon enfant et les rayons du soleil qui jouaient dans les vitraux colorés suffirent à réchauffer très vite la petite équipe de ménagères.
Pirouly avaient finalement vu débarquer quatre femmes du village avec leur armement de balais, de seaux, de lavettes et plumeaux, toutes coiffées comme sa mère d'un fichu coloré pour protéger leur chevelure des fils de poussière et des toiles d'araignées, et vêtues d'un tablier coloré.
Les femmes trouvèrent que l'église sentait le moisi et le salpêtre. Elles commencèrent donc par ouvrir les deux battants de la grande porte en bois et la porte de la sacristie pour créer un courant d'air vivifiant.
L'odeur du soleil d'automne commença à chasser ces relents de crypte.
Pirouly se sentit intimidé par la majesté du lieu. Il n'était entré qu'une fois dans l'édifice datant du XII ème siècle et n'avait pas franchement goûté ce lieu sombre et solennel.
Mais aujourd'hui, c'était différent.
Était-ce le fait que la nef, formée de trois travées aux voutes gothiques, était envahie par cinq femmes gazouillant gaiement ? Etait-ce lié à ces rayons de soleil rasants, décidés à éclairer le moindre recoin, se faufilant à travers l'édifice par les portes ouvertes et les sept magnifiques vitraux ?
On pouvait y admirer le mariage de la Vierge, le couronnement de la Vierge par la Sainte Trinité, ou encore Saint Dominique recevant le rosaire des mains de Notre Dame, sans oublier la mort de Saint Louis, saint patron de Barroy, ou bien le mystère de l'Annonciation richement coloré.
Tous ces Saints et ces extraits d'évangile n'évoquaient pas grand chose pour Pirouly, mais il était sensible à ces couleurs, ces postures, et ce qui s'en dégageait.
Il passa doucement sous la tribune d'orgue en admirant respectueusement le décor chargé de ce lieu de culte. Il se retourna et, levant les yeux, contempla le haut buffet de l'orgue nanti de treize tuyaux encadrés par deux tourelles. Sur chacune de ces tourelles, cinq autres tuyaux d'un plus large diamètre s'élevaient vers le ciel peint de l'église.
Pirouly se demanda combien de cérémonies cet orgue avait pu accompagner depuis qu'il était là, c'est à dire depuis cent cinquante ans. Combien de mariages, combien de baptêmes, combien d'enterrements avait-il bercés de ses notes graves et puissantes ?
Il lui sembla qu'à lui seul cet orgue symbolisait le cycle de la vie.



Monique le sortit de ses songes en le bousculant au passage avec un escabeau en bois léger qu'elle portait en équilibre sur son épaule et qu'elle était allée prendre dans la sacristie.
- Bon, je m'attaque aux vitraux. Souhaitez-moi bon courage.
Chantal la croisa avec des chiffons et une boîte à cirer en main.
- Moi, je cire les bancs, les prie-Dieu et les repose-pieds.
Pirouly dut se ranger un peu.
Tandis que les femmes s'organisaient, il continua d'admirer la statuaire religieuse.
Saint Jean-Baptiste, un petit agneau à ses pieds, tendait un bras au-dessus de lui comme s'il voulait le baptiser. De l'autre côté de l'allée, Saint Marcel et la crosse avec laquelle il aurait accompli l'exploit d'assommer un dragon attaquant Paris, paraissait lui dire : "Ne craint rien, je veille sur toi.".
Saint Antoine de Padoue, patron des marins, des naufragés et des prisonniers, qu'on évoquait aussi pour retrouver des objets perdus, Saint Jean l'évangéliste, qui commandait de s'aimer les uns les autres, tenant une coupe de poison entre ses mains, une vouivre perchée sur son épaule, Sainte Jeanne d'Arc, célèbre pucelle d'Orléans en tenue d'arme, ou Saint Joseph et l'enfant Jésus, toutes ces figures de la religion chrétienne finirent de l'escorter jusqu'au transept.
Sa mère et Léontine avaient entrepris de dépoussiérer les nombreux candélabres fixés au mur.
Il s'arrêta un instant au pied du chœur. D'instinct, il sentait que ce domaine était réservé à l'officiant. Sur sa droite, la chaire de prêche le dominait de sa cuve en chêne dont le dossier était surplombé par un dais que le curé appelait l'abat-voix.
Face à la chaire, le confessionnal attendait que quelque repenti vienne confier ses tourments entre ses parois feutrées, bien à l'abri derrière son rideau de velours lie de vin.
A l'un des piliers supportant la voûte du chœur, d'épaisses cordes étaient entortillées à leur accroche fixée solidement dans la pierre.
Pirouly rejeta la tête en arrière et suivit des yeux ces cordes montant dans les frondaisons du clocher. Un large plancher de bois l'empêchait d'apercevoir les cloches auxquelles elles étaient reliées. Mais sur le pilier, en face de chaque accroche, il vit de petites plaques de cuivre gravées à leur nom : Marie-Dominique, Caroline-Gabrielle, Marie-Adèle et Alphonse-Elise.
C'était ainsi que la paroisse avait baptisé la grosse cloche et ses trois cadettes, toutes quatre encore à traction manuelle.
Pirouly se souvint à ce propos que son père avait eu l'honneur d'être présenté à ces demoiselles lorsqu'on lui avait demandé de remplacer le coq au sommet du clocher, coq envolé à la faveur d'une forte tempête. Il avait du se faufiler sur le toit pointu en enlevant quelques tuiles à son sommet, puis il avait joué les alpinistes le temps de placer sur sa flèche le coq flambant neuf. Les villageois l'avaient observé en frissonnant tout le long de la manœuvre, retenant leur souffle de peur de le voir chuter.
Il avait alors appris que le coq, déjà considéré comme un symbole solaire au moyen-âge, était devenu, sous l'impulsion du pape Léon IV, le représentant du messie annonçant le passage des ténèbres à la lumière. Toutes les paroisses avaient donc peu à peu adopté ce type de girouette.



- Ah, voilà le plus beau ! s'écria soudain la Ginette en train d'astiquer la rampe séparant le transept du chœur.
Pirouly ramena son regard sur terre pour vérifier qui méritait ce bel enthousiasme de la ménagère.
Une silhouette se profila dans la trouée lumineuse formée par l'ouverture du grand portail cintré et avança jusqu'au narthex.
L'homme, au physique bien découplé, avança dans sa direction d'une démarche virile et assurée.
Les quatre autres femmes suspendirent leurs gestes et certaines sifflèrent le nouveau venu. Ces sifflets étaient teintés d'un zeste de provocation et de beaucoup de second degré.
Ronflette, car c'était lui, n'en fut pas le moins du monde désarçonné.
- Ne faites pas attention à moi jolies soubrettes, je viens juste voir mon pote... Mais aussi vérifier que vous vous comportez bien et que vous êtes en paix avec le Seigneur.
Il agita son majeur et son index à l'horizontal devant ses yeux plissés en les pointant dans leur direction.
Pirouly repensa à la vision qu'il avait eu et dans laquelle son ami lui était apparu en pagne ceinturé d'un cobra en or. Ronflette, entouré du halo blanchâtre dispensé par le pâle soleil d'octobre, avait ici la même beauté simple et dégageait la même impression de solidité, de douceur. Il en ressentit un grand réconfort comme dans sa vision.
Pirouly jeta un œil rapide sur le grand crucifix en bois suspendu au-dessus du retable, au fond du chœur, pour s'assurer que le Christ en plâtre, d'une beauté martyr, n'était pas descendu de sa croix pour aller faire un tour.
Mais non, c'était bien Grégorien Bartichaut, son ami de l'école primaire, son meilleur ami après les filles des M and P's, Grégorien dans toute la fraîcheur de ses quinze ans, un brin crâneur, mais avec tant d'innocence et de désinvolture, qu'il en était attendrissant.
Ces atouts n'avaient pas échappé aux cinq femmes expérimentées qui entrevoyaient dans ce jeune homme un futur bourreau des cœurs. Elles décidèrent de jouer un peu avec lui et de profiter qu'il était encore inoffensif pour le chahuter.
- Oh, mais mon coquelet, il va falloir attendre d'avoir un peu plus de plumes au croupion pour venir nous picorer la crête, le héla Monique du haut de son escabeau tout en passant son chiffon noirci sur un vitrail jaune soleil.
- As-tu au moins fait ton catéchisme béjaune ? Même à la vierge t'as pas du lui faire bien peur, renchérit Chantal en éclatant de rire.
Léontine vint secouer son plumeau sous le menton du garçon.
- Attends voir, t'as un peu de poussière sous le menton... Oh, mais !... Attendez les filles ! C'est pas de la poussière ! Ce sont ses quatre poils au menton !
Les cinq femmes rirent de plus belle à cette répartie.
Pirouly se retint de rire par solidarité avec son camarade, mais il trouva drôles les remarques un peu paillardes du contingent de ménagères.
La Ginette ajouta de sa voix criarde :
- Bah ! Contrairement au curé, t'as pas du les faire sonner souvent tes cloches, toi !
Et les rires résonnèrent à nouveau sous les voûtes de l'église.
Ronflette, imperturbable, leur adressait des bisous qu'il faisait s'envoler vers elles en soufflant sur le bout de sa main ouverte.
Seule Mme Roulier l'épargna, femme plus réservée. Mais elle ne dissimula pas son amusement.
- Mesdames ! Si Mr le curé vous entendait, il serait choqué,les sermonna le jeune hidalgo, mi-sérieux, mi-plaisantin.
- Ton curé, il avait pas les mains dans les poches quand, gamines, on jouait avec lui à colin-maillard. Y avait pas que ses yeux qu'étaient bandés ! lâcha Léontine en levant son petit doigt devant son nez pour ceux qui n'auraient pas compris.
Ginette confirma en agitant ses mains devant elle, les yeux fermés :
- Oui, il avait pas froid aux yeux ni aux mains.
Ronflette, arrivé près de Pirouly, serra le poing en même temps que lui et ils se heurtèrent les phalanges en guise de bonjour.
- Elles sont déchaînées ces dames ! Elles ont fini le vin de messe ou quoi ?
Pirouly ricana nerveusement.
- Mais non, c'est ton charme naturel. Sûrement ton tee-shirt à bretelles...
L'ami tira sur son tee-shirt innocemment comme s'il se demandait ce que ce vêtement pouvait avoir de particulier.
- Je crois qu'il est un peu... moulant... précisa Pirouly amusé.
Ronflette sembla enfin comprendre.
- Heureusement que j'ai mis un sweat gilet, sinon elles se roulaient par terre.
Les cinq mères de famille étaient toutes retournées à leurs tâches en riant plus doucement.
- Content que tu sois sorti de l'hosto Pirou. Ça fait plaisir de te revoir debout.
Pirouly parut gêné. Il n'osa pas lui répondre qu'il était aussi heureux de le voir près de lui. Il se sentait moins mélancolique.
- Alors, tu as parlé à ton grand-père pour le tatouage ? demanda Grégorien en entraînant Pirouly dans le déambulatoire.
- Oui. Il a pas voulu me l'avouer, mais j'ai entendu qu'il confiait à mes parents que le tatouage en question, il l'avait fait à un descendant du Colonel...
Son ami parut faussement intéressé. Il l'interrompit :
- Ok, mais pour me faire mon tatouage, tu lui as demandé ? Est-ce qu'il serait d'accord ?
Pirouly s'excusa :
- J'ai pas vraiment demandé parce qu'il m'a dit qu'il ne tatouait plus à cause de son tremblement à la main...
Ronflette fut déçu. Mais son attention se focalisa aussitôt sur autre chose. Il venait d'apercevoir le tronc où les paroissiens venaient déposer leur aumône. Il jeta un œil par-dessus son épaule pour vérifier si les femmes les regardaient puis, rassuré, il s'approcha du pilastre en bois surmonté d'un archange aux ailes bleues déployées câlinant une harpe dorée.


Pirouly crut un instant que Ronflette allait glisser une petite pièce dans la fente ouverte entre les pieds aux sandalettes de l'enfant ailé. Mais, au lieu de ça, son camarade passa derrière la colonne en bois, donna un léger coup sur les charnières qui permettaient l'ouverture de la grosse tirelire. La serrure devait être ancienne car la porte du socle qui permettait de récupérer régulièrement les deniers du culte s'ouvrit sans problème et sans avoir usé de la clé.
Pirouly écarquilla les yeux.
- Mais, qu'est-ce que tu fais ?
Ronflette lui adressa son plus joli sourire, celui qui dessinait trois petites fossettes partant de la commissure de ses lèvres vers sa joue.
- Bah, je suis un paroissien ou pas ?
Pirouly fut désarçonné par la question.
- Euh oui... Enfin non... Si tu es croyant alors peut être...
- Je crois à tout ce que tu veux. Ça dépend combien y a là-dedans.
Et il plongea la main dans la colonne en creux. Des rides soucieuses apparurent d'abord sur son front. Il fouillait consciencieusement à l'aveugle quand sa face s'éclaira et un sourire de vainqueur apparut sur ses lèvres.
- Bingo !
Pirouly jeta à son tour un œil inquiet vers le transept. Pourvu que l'une des femmes ne vienne pas traîner par ici avec son plumeau ! Surtout pas sa mère !
Ronflette ramena d'abord quelques billets, puis replongea sa main pour ramener enfin une bonne poignée de pièces.
Il compta fiévreusement.
Pirouly n'y tint plus, il chuchota fermement :
- Remets ça tout de suite où tu l'as pris.
Son ami parut surpris.
- Y a pas grand chose, détends toi. C'est pas le casse du siècle.
- Peu importe. C'est pas bien.
- En même temps, on vient donner un coup de main pour entretenir l'église.
- C'est du bé-né-vo-lat, insista fermement Pirouly.
Ronflette soupira en recomptant son butin.
- Y a de quoi aller prendre un verre chez Janine au café du commerce. Ça te dit pas ? On fera une partie de baby-foot.
- Tu sais que j'aime pas jouer au baby-foot.
- Au flipper alors... T'adore le flipper.
- N'insiste pas. Remets ça en place, un point c'est tout !
Ronflette hésita encore puis, à un dernier regard plus noir de son ami, il se résolut à remettre la somme en place.
Juste au moment où il refermait la porte du tronc, Ginette pointa son nez. Comme deux garçonnets qui viennent de faire une bêtise, ils se redressèrent tout piteux, mains dans le dos. Mais elle ne sembla pas s'en rendre compte.
- Les gars, vous comptez les blessures du Christ ou quoi ? Vous voulez pas aller nous remplir les seaux d'eau, les interpela-t-elle.
Monique en profita pour les solliciter également.
- Oui les mectons, bougez-vous ! J'ai besoin de vous. L'escabeau que j'ai est trop bas pour que j'atteigne les vitraux du haut. Si vous pouvez aller me chercher l'échelle dans la remise du presbytère, ce serait top.
Ils s'exécutèrent, trop heureux de ne pas s'être faits prendre la main dans le tronc.
Ils firent le tour du chœur par le déambulatoire et gagnèrent la sacristie en passant derrière l'abside. Ils y trouvèrent un évier dans lequel ils purent remplir les seaux confiés. Une fois remplis, ils les ramenèrent aux femmes.
Ils sortirent ensuite par une porte qui donnait derrière l'église et permettait d'accéder au jardin du presbytère situé un peu en surplomb de l'église, comme le bâtiment qui en dépendait.
Il faisait sombre dans la grange, mais Ronflette ne tarda pas à trouver l'échelle en aluminium rangée tout au fond. Il appela Pirouly resté à l'entrée de peur des rats qui y circulaient.
L'échelle s'était emberlificotée dans des cordages suspendus aux poutres lorsque Ronflette avait voulu la dégager. Il dut donc aller à la rescousse de son ami.
En tirant à deux sur l'échelle, celle-ci se dégagea soudain et vint frapper Pirouly au front.
- Oh, excuse-moi, j'aurais dû te prévenir quand j'ai tiré. Ça va ? Pas de mal ? s'enquit très vite son camarade.
Ils couchèrent l'échelle au sol et Pirouly put se frotter vivement le front en gémissant un peu.
- Laisse-moi voir si tu ne t'es pas ouvert l'arcade...
Il inspecta le front heurté.
- Ça va, ça saigne pas... Mais tu as une jolie bosse.
Ronflette posa spontanément un baiser sur la zone rougie.
Pirouly le repoussa.
- Qu'est-ce qui te prend ?
- Bah, ma mère faisait ça quand je me cognais étant gamin, répondit Ronflette tout penaud.
Pirouly parut interdit. Ils se regardèrent silencieusement un instant. Puis ils s'adressèrent un sourire. Les excuses fusèrent en même temps.
- Excuse-moi je suis un peu sur les nerfs en ce moment.
- Non, c'est moi qui doit m'excuser. J'ai encore failli faire une connerie tout à l'heure. Ça a du t'agacer.
- Non, c'est rien. Tu l'as pas fait. C'est ça qui est important.
- C'est toi qui as raison. T'es un ami précieux. Tu me remets sur le droit chemin quand je déconne. Je deviens meilleur grâce à toi.
Un nouveau silence gêné s'installa.
Alors Grégorien fit un pas en avant, une drôle d'expression sur le visage. Pirouly l'arrêta aussitôt en posant une main sur son torse. Plus près ce n'était pas possible.
- Tu as parlé à Mirliton ? demanda-t-il la voix tremblotante.
La question prit de court le jeune Bartichaut. Il baissa la tête en murmurant que non, il ne l'avait pas encore fait.


Alors Pirouly se baissa pour reprendre son extrémité d'échelle.
Quand ils descendirent le coteau avec leur chargement, le curé sortit de son bureau pour les saluer.
Les garçons eurent du mal à garder leur sérieux en observant cet homme en soutane posé et calme, aux cheveux blancs respectables, qui faisait contraste avec l'anecdote des parties de colin-maillard polissonnes qu'il s'accordait jadis à l'issue de ses cours de catéchisme.
Quand ils furent devant l'église, ils y rencontrèrent Martinou, Poucy et Mirliton qui venaient d'arriver.
- Tout ce renfort ! C'est magnifique cette jeunesse dévouée. Ça tombe bien, on a des balais, des plumeaux, des serpillères pour tout le monde, était en train de leur dire Chantal.
Les filles se firent donc embauchées à leur tour.
Léontine, satisfaite, affirma que, même lors des plus grandes messes, il n'y avait pas autant d'animation.
Durant ce ménage où tout fut lustré, les filles et les garçons purent se donner des nouvelles.
Martinou résuma leur journée de la veille et raconta comment Cerise les avait tirées d'une sale situation. Elles évitèrent de perturber Pirouly avec l'incident du gramophone mais détaillèrent leur visite du manoir.
Les deux garçons leur firent part du récit délirant du parachutiste.
Les filles furent à peine étonnées lorsqu'elles apprirent que l'homme au tatouage descendait en ligne directe du Colonel Whereasy.
- Heureusement que tes grands-parents étaient là hier soir, réagit Martinou. J'ai cru un instant que cette voiture qui fonçait sur moi était conduite par l'un des hommes à la recherche de ce Gary. Je me demande d'ailleurs toujours ce qui a fait perdre le contrôle de son véhicule à cet automobiliste.
- Pour Gary, on pourrait peut-être demander à ces dames si elles le connaissent. Elles sont sûrement allées à l'école avec lui, suggéra Poucy.
Les cinq ménagères étaient maintenant réunies au pied du grand crucifix d'où Jésus Christ les regardait de son air désolé et miséricordieux.
Elles débattaient pour savoir laquelle d'entre elles aurait le privilège d'épousseter le corps du martyr. Les M and P's, accompagnés de Ronflette, crûrent un instant qu'il était question de savoir qui allait l'épouser.
Elles mettaient tellement de coeur à leur chamaillerie qu'ils furent amusés par la scène.
- Soyons équitables, défendait l'une, Thérèse l'a déjà fait l'année dernière et Monique l'année précédente.
- Il me semble me souvenir que cette année, c'est le tour de Cerise, avança l'autre.
- Oui mais Cerise nous a lâchées, alors elle passe son tour, donc c'est à moi, argumenta Léontine en brandissant son plumeau avec autorité.
Cette grande femme sèche, avec un chignon rond bien serré haut sur la nuque, ne s'en laissait pas souvent compter.
- Tu es sûre que ta mère n'a pas prévu de venir un peu plus tard Martinou, demanda doucement la mère de Pirouly.
- Oui, Mme Roulier, c'est sûr. Elle était d'ailleurs désolée de ne pas pouvoir se joindre à vous. Elle est tellement débordée en ce moment...
- C'est curieux, elle parvient toujours à se libérer pour cette journée. Elle ne l'a jamais manquée en vingt ans. Elle n'est pas malade au moins ? Ou bien est-elle toujours fâchée contre votre ami ici présent ?
Les M and P's se tournèrent interrogatifs vers Ronflette que désignait Monique d'un œil soupçonneux.
Celui-ci fit signe qu'il ne comprenait pas.
- Oui, oui galopin, j'ai vu que tu l'avais mise en rogne à la fête du potiron. Elle en est même partie de son stand. T'as les mains qui ont encore chapardé quelque chose... T'avais beau faire le singe en épouvantail, on te connaît...
- Me regardez pas comme ça, j'ai rien fait... Juré !
Martinou défendit l'accusé.
- Grégorien n'y est pour rien. Maman a juste planifié des choses aujourd'hui qu'elle ne pouvait remettre à plus tard.
Elle se demanda en même temps pourquoi elle cherchait tant à justifier sa mère. Monique avait raison. Elle-même ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur cette défection. Ce n'était pas le genre de sa mère qui aimait beaucoup ces journées entre femmes à rendre service aux uns et aux autres. Elle avait trouvé bizarre que Cerise prétexte une simple course à faire pour sa nouvelle patronne. Elle repensa aux bruits qu'elle avait entendus ces deux dernières nuits. Elle n'avait pas osé bouger de son lit, mais il lui semblait avoir entendu des allées et venues. Sa mère avait-elle été à nouveau sujette à ses crises de somnambulisme ?
Elle se demanda si aujourd'hui elle n'était pas plutôt allée voir son médecin en douce, trop inquiète de cette rechute.
Elle la trouvait assez soucieuse depuis quelques jours.
- Bon, vous voyez bien, si Cerise passe son tour, donc c'est à moi ou Ginette.
Cette dernière regarda le Christ avec convoitise.
- Vous n'avez qu'à tirer à la courte paille entre vous deux, suggéra sagement Mme Roulier.
La Monique s'empara de deux cierges sur le pique-cierges.
Ils avaient fondu à des niveaux différents. Elle se tourna un instant et présenta à Ginette et Léontine, les concurrentes, les deux morceaux de cire dont elle avait laissé dépasser les mèches alignées.
Ce fut Léontine qui remporta le privilège de faire sa toilette au magnifique Christ en croix.
- Frotte pas trop fort Léontine, c'est un Christ en plâtre qui a bien cent ans, recommanda la Ginette d'un ton de mauvaise perdante alors que sa comparse était déjà en haut de l'escabeau en train de débarbouiller le visage à la couronne d'épines.
Chacun était suspendu aux gestes de l'élue. Un certain recueillement s'était abattu sur le petit groupe.
La ménagère porta un soin particulier aux blessures rougeoyantes. Elle paraissait très fière de leur rendre leur carmin avec son chiffon humide. Il était important que son martyr soit bien visible pour conserver son pouvoir de fascination sur les ouailles de la paroisse.
Martinou s'impatienta. Il fallait qu'elle sache si les amies de sa mère connaissaient le fameux Gary. Elle se rapprocha donc de Monique qu'elle savait la plus bavarde. Elle lui glissa discrètement sans en avoir l'air :
- Vous êtes au courant ? Il y a un ancien du village qui est revenu.
Monique s'étonna tout comme Chantal tout près qui avait entendu la remarque. Elles ne comprenaient pas. C'était en général le genre d'information exclusive qui ne leur échappait pas.
- Oui, vous devez le connaître. Il est dans vos âges. Il paraît qu'il descend du Colonel Whereasy... Gary Whereasy ? continua Martinou.
- Mais non, Gary Cunningham plutôt, corrigea Léontine qui avait elle aussi entendu l'échange de là où elle était perchée. Son père était le petit-fils de la fille Whereasy qui avait elle-même perdu son nom en devenant une Porter.
Les M and P's ne visualisèrent pas très bien l'arbre généalogique en lui-même mais ils comprirent, en tout cas, que l'homme à la musette était bien le trisaïeul du fameux militaire.
- Ça fait longtemps qu'il a quitté Barroy ? intervint Mirliton heureuse de pouvoir enfin attribuer un nom et un prénom à cet aventurier.
- Oh oui ! Il paraît qu'il avait mal tourné... De mauvaises fréquentations, assura Monique en plissant le nez.
- C'est pour ça qu'il est parti d'ici ?
- Non, non. C'est après qu'il aurait mal tourné.


Léontine s'interrompit un instant, parvenue à un endroit délicat de son entreprise de nettoyage.
- Excusez-moi doux Jésus, mais il faut bien que quelqu'un le fasse, déclara-t-elle à la statue de plâtre en frottant avec la plus grande délicatesse le pagne du sacrifié, tout en affichant un sourire béât qui prouvait que son sacrifice à elle n'était pas si terrible.
Ses amies pouffèrent de rire. Les M and P's regardèrent ces grandes gamines irrévérencieuses avec consternation.
On sentait que ce moment passé ensemble était une vraie récréation et que tout était sujet à se défouler.
Martinou eut du mal à les ramener sur le sujet de Gary Cunningham.
- Pourquoi il est parti d'ici alors ?
Les femmes se calmèrent soudain et se consultèrent les unes, les autres. Elles avaient repris leur sérieux.
Ginette répondit évasivement :
- Sûrement pour trouver du travail, comme beaucoup...
Les autres parurent soulagées de cette explication.
- Est-ce qu'il avait des amis en particulier ? Des personnes qu'il aurait aimé revoir aujourd'hui ?
Léontine se concentra exagérément sur l'entrejambe de Jésus tandis que les autres commères regardaient fixement leur chiffon ou le bout de leur balai.
Poucy regarda tour à tour Mirliton et Pirouly.
Elle semblait leur dire : "Est-ce que c'est une impression ou les questions de Martinou semblent soudain mettre ces dames dans l'embarras ?".
Mme Roulier finit par émettre un avis :
- Ce garçon était un loup solitaire. Il avait des copains mais juste comme ça...
- Mais est-ce qu'il aurait encore de la famille ici ou une ex petite amie qu'il pourrait avoir eu envie de revoir ?
Un nouveau silence s'établit devant l'insistance de la jeune fille.
- Tu vois bien que Mesdames ne savent rien. Tu les ennuies avec tes questions, la sermonna gentiment Ronflette. Elles ont sûrement oublié depuis tout ce temps.
Ginette abattit son plumeau sur le crâne du jeune adolescent imprudent.
- Oh là ! Doucement mon joli ! On est dans la fleur de l'âge. On n'est pas des doyennes ! ... Écoutez les gosses, l'histoire de ce Cunningham n'est pas des plus roses... Il est parti d'ici pour ses raisons. C'est pas à nous de le dire...
Puis, en regardant Martinou avec une expression étrange, elle reprit plus doucement :
- C'est pas à nous de te le dire... Toujours est-il qu'il est revenu marié. Il a habité le manoir. Tout allait bien. Puis il y a eu l'affaire des bébés... Sa femme a fait des dénis de grossesse et, un jour, les corps des pauvres petits ont été découverts. Le pauvre garçon a tout perdu du jour au lendemain. Sa femme a été mise en prison. Il a quitté une nouvelle fois Barroy pour ne plus jamais y reparaître.
- C'est étonnant, alors, qu'il revienne dans les parages après une telle histoire. Qu'est-ce qui peut bien le pousser à revenir sur des lieux entachés de tels souvenirs ? s'interrogea à mi-voix Mme Roulier.
- Ces lieux maudits tu veux dire ! s'exclama Monique.
Léontine venait de regagner le plancher des vaches et contemplait le fils de la Vierge avec satisfaction. Il était propre comme un nouveau né.
Tout le monde admira le travail.
- Un dernier coup de serpillère dans les allées et on va pouvoir passer au cimetière. Il y a quelques tombes à nettoyer, clama Chantal en ramassant son seau.
Un quart d'heure plus tard, le grand nettoyage de l'église était terminé. Les femmes et leurs apprentis étaient regroupés devant le portail dont elles avaient pris soin de refermer les battants.
La Léontine les rejoignit en se hâtant. Elle sortait de la sacristie dont elle venait de fermer à clé la porte. En passant devant le crucifix qu'elle avait soigneusement nettoyé, elle ralentit toutefois et fit même une petite révérence furtive.
- A l'année prochaine doux Jésus.
Puis elle lui adressa un dernier clin d'œil avant de rejoindre le groupe qui l'attendait.